Relations toxiques et stress émotionnel

Avant de traiter le sujet des relations toxiques, il est nécessaire de définir auparavant la relation tout court, car c’est à l’intérieur même de la définition que nous pouvons entrevoir les enjeux émotionnels dans la relation toxique.

Relation : « lien de dépendance ou d’influence réciproque (entre deux personnes) » / Le Nouveau Petit Robert. Donc, une relation est un lien que nous établissons avec autrui, qui s’établit et perdure dans le temps, ce pour les plus importantes et significatives.

En effet, nous établissons des liens dès notre naissance, puisque nous entrons en relation directe et immédiate avec ceux qui sont censés nous donner protection et amour, en principe les parents. Par conséquent, nous développons, au fur et à mesure que la relation s’établit et que le lien se construit, un sentiment de sécurité interne dont la confiance en l’autre est la pierre angulaire de la relation.

Il est important de souligner que l’impact d’une mauvaise relation sur nous dépend, avant tout, du degré de proximité émotionnelle que nous entretenons avec l’autre, mais également de la fréquence avec laquelle nous entrons en contact avec celui-ci. Selon ces deux aspects-là : proximité-dépendance (émotionnelle) et/ou fréquence du contact, surgiront des attentes réciproques (explicites ou non) et des liens durables (ou non), qui vont influencer notre degré d’attachement et/ou d’investissement personnel dans la (les) relation(s).

Il se trouve que dans les relations de plus grande proximité-dépendance (dans notre vie adulte, relations amoureuses en tête), nous aurons tendance à avoir des attentes émotionnelles très importantes (sécurité, confiance, respect, compréhension). Ces attentes sont des besoins naturels et fondamentaux[1] pour que la relation puisse se dérouler et être vécue dans un climat détendu et rassurant.

Or, dans la relation toxique (qui repose souvent sur une zone de flou et/ou d’ambiguïté), l’élément confiance est souvent manquant ou fragile, car ce qui y est le plus souvent expérimenté est une forme de méfiance diffuse et omniprésente[2], où l’on oscille souvent entre des états de bien-être (moments d’interaction positive) et de malaise (l’ambiance peut très rapidement basculer). Il convient de souligner que, dans ce contexte-là, nous sommes encore moins certains du fait que nos valeurs et nos attentes personnelles soient comprises ou respectées.

Dans la relation toxique, on va se trouver à vivre dans un stress émotionnel certain car un état d’anxiété, quasi permanent, est vécu lors de notre contact avec l’autre. Cela est d’autant plus vrai lorsque nous sommes dans un contact proche et/ou fréquent avec la personne avec qui nous entretenons cette relation.

En fait, « le stress produit presque toujours des émotions parmi lesquelles se trouve l’anxiété » (L’anxiété au quotidien, E. Albert, L Chneiweiss). De même que, « L’anxiété est effectivement la conséquence directe d’un stressor ». (Stress, comment l’apprivoiser, L. Coudron). Or, la relation toxique est un grand facteur de stress. Qu’est-ce qui devance quoi ? Ce qu’il me semble utile d’observer c’est que ces deux facteurs, stress et anxiété, restent toujours étroitement liés.

Dans cette relation, cet état de stress permanent a des conséquences néfastes et nuisibles pour soi, tels : anxiété (sentiment d’insécurité constant), panique (crises à répétition), dépendances (alcool, drogues, pharmacodépendance), somatisations diverses (douleurs diverses non-imputables à une cause directe), baisse de l’estime de soi, qui se traduit souvent par une grande perte de confiance (en soi-même, en autrui, en la vie) et par un sentiment de moindre valeur personnelle.

Nous pouvons constater qu’il s’agit de toute une gamme de sentiments désagréables et/ou déstabilisants, même handicapants dans les cas les plus sévères. Néanmoins, la conséquence la plus redoutable, ce sont les états dépressifs qui peuvent se développer sur de longues années ou des périodes de crise intense[3]. Ces états dépressifs peuvent varier en intensité, gravité, chronicité, et vont du type léger à des états dépressifs majeurs qui peuvent, dans certains cas, prendre une tournure dramatique et/ou une issue fatale.

D’ailleurs, il n’est pas exclu de présenter en simultané les deux formes de troubles, soit l’anxiété et la dépression, trouble anxieux et dépressif mixte, puisque « le sujet présente à la fois des symptômes anxieux et des symptômes dépressifs, sans que l’intensité des uns ou des autres soit suffisante pour justifier un diagnostic séparé » (CIM-10, WHO/Masson, 1994, pour la traduction française, 2000).

Pour l’exemple des malaises que l’on peut vivre dans ce type de relation lorsqu’elle se déroule avec un homme toxique, L. Glass affirme que la plupart des femmes se sentent piégées lorsqu’elles prennent conscience de se trouver dans une relation avec ce type d’homme (elle les a clairement désignés avec ce terme-là) et/ou ont peur de terminer cette relation. Selon elle, beaucoup d’entre elles ont entretenu des rapports de dépendance avec eux et/ou ont totalement perdu confiance en leur capacité à évoluer par elles-mêmes ou encore elles ne savent pas par où commencer.

Autrement, elle donne quelques caractéristiques de l’homme toxique, dont voici un aperçu :

-Il nous provoque des émotions négatives

-Il ne se conduit pas de façon correcte envers nous ou nous maltraite.

-Il nous fait sentir mal avec nous-mêmes (ce qui a un impact sur notre comportement et sur notre estime de nous-même.  

En fait, ces caractéristiques ne sont pas exclusives à l’homme toxique mais à toute personne qui chercherait, consciemment ou non, à nous déstabiliser (à distinguer de la personne qui, en toute légitimité, s’affirme dans une situation conflictuelle).

A mon sens, il ne faut pas oublier que certains ont des comportements contraires (« altruistes », « protecteurs », etc.) en installant un pseudo-climat de confiance, mais dans les faits, ils ne font qu’instrumentaliser leur bienveillance afin de pouvoir assoir leur « emprise »[4]. Ainsi, ils manipulent d’une manière très subtile autant la relation que la personne avec qui ils l’entretiennent.

Dans cet ordre d’idées, I. Nazare-Aga a développé une typologie intéressante sur les différents types de manipulateurs (sans distinction de genre), parmi lesquelles : manipulateurs sympathiques, altruistes, séducteurs, cultivés, parmi d’autres.

Je fais le choix de nommer ces types de manipulateurs, car il est très difficile d’y percevoir une manipulation quelconque puisque la plupart d’entre nous sommes réceptifs à ces caractéristiques sociales hautement appréciées.

Cette auteure décrit trente caractéristiques que l’on retrouve chez les manipulateurs relationnels, dont :

- Il culpabilise les autres, au nom du lien familial, de l’amitié, de l’amour, de la conscience professionnelle, etc.

- Il ne communique pas clairement ses demandes, ses besoins, ses sentiments, ses opinions.

- Il répond souvent de manière très floue

- Il change ses opinions, ses comportements, ses sentiments selon les personnes ou les situations

- Il met en doute les qualités, la compétence, la personnalité des autres : il critique sans en avoir l’air, dévalorise et juge.

- II prêche le faux pour savoir le vrai, déforme et interprète

- Il ne supporte pas la critique et nie les évidences

- Il produit un état de malaise ou un sentiment de non-liberté (piège)

- Etc.

Elle fait remarquer qu’il faut au moins 14 caractéristiques, parmi les trente, pour pouvoir parler de personne manipulatrice et met en garde sur le fait qu’« il ne faut surtout pas confondre la manipulation qui peut n’être qu’un comportement passager, et la personnalité manipulatrice. Le manipulateur manipule parce qu’il ne peut pas agir autrement. Il s’agit pour lui d’un système de défense souvent inconscient ».

Elle souligne également les dégâts psychologiques et psychosomatiques découlant de la relation avec ce type de personnalité en affirmant qu'« un contact prolongé avec un manipulateur engendre des sentiments de culpabilité, d’agressivité, d’anxiété, de peur ou de tristesse »[5]. En effet, il est important de remarquer que ces caractéristiques se recoupent avec la description faite ci-dessus par L. Glass, lorsqu’elle décrit la relation avec un homme toxique.

Toujours dans cette optique des personnalités avec qui l’on peut entretenir une relation toxique, une autre auteure, Marie-France Hirigoyen, dans le cadre de la problématique du harcèlement moral, met en exergue un trait personnel très important chez des personnalités perverses. Elle affirme qu« un individu pervers est constamment pervers ; il est fixé dans ce mode de relation à l’autre et ne se remet jamais en question à aucun moment ».

En conclusion, nous ne pouvons qu’imaginer l’effet dévastateur sur soi du vécu d’une telle situation, car avoir vécu dans une relation toxique (la relation de manipulation est l’une des plus toxiques qu’il soit permis d’imaginer) se répercute encore longtemps après sur la personne l’ayant vécue, une fois la relation terminée.

Cela est surtout le cas pour des personnes en état de vulnérabilité (dépendance économique, maladie grave, basse estime de soi, traumatisme personnel, etc.) puisque les répercussions sont amplifiées de par la vulnérabilité.

Il va sans dire que ce type de relation demande à ce que l’on puisse faire un travail sur soi de reconstruction. Lors de ce travail, il doit exister comme buts prépondérants :

- Regagner la confiance en soi et en autrui (par exemple un futur partenaire).

- Reconstruire une meilleure image de soi-même.

- Identifier et reconnaître ses propres vulnérabilités, ses besoins et valeurs personnels, etc.

Tout ce processus de reconstruction personnelle doit permettre à la personne chez qui cela se déroule d’être en mesure de renforcer son estime de soi, qui aura été mise à mal et/ou endommagée, ainsi que de pouvoir casser la répétition de schémas relationnels toxiques et/ou compliqués.

Finalement, pour ceux qui sont appelés à continuer à garder le contact (parentalité), il faudrait renoncer à l’idée de pouvoir maintenir une relation « normale » avec celui dont l’histoire est entachée par la douleur morale et la méfiance, en essayant, dans la mesure du possible, de maintenir un contact constructif pour bien pouvoir gérer les responsabilités communes.

Et, comme l’affirme B. Stamateas : « Apprenons à nous éloigner de toute personne qui chercherait à nous manipuler[6] ». Ainsi qu’il est de notre devoir d’« apprendre à distinguer ce qui nous fait du bien de ce qui nous fait du mal afin de pouvoir opérer le meilleur choix pour nous [7] ».

 

BIBLIOGRAPHIE

Comment survivre au mariage avec un pervers narcissique, les épouses du Roi-Soleil, (V. Le Goff-Cubilier. Copyright 2013. Editions Médecine et Hygiène. Chemin de la Mousse 46 – CH 1225 Chêne-Bourg

CIM-10, WHO/Masson, 1994, pour la traduction française, 2000

Gente tóxica, Bernardo Stamateas. Ediciones B, S.A., 2012 para el sello B de bolsillo Conseil de Cent, 425-427-08009 Barcelona (España)

Hombres tóxicos, L. Glass, Espasa Libros, S. L. U. Paidós ; livre original : Toxic Men

Les manipulateurs sont parmi nous, I. Nazare-Aga. 2004, Les Editions de l’Homme, division du Groupe Sogides inc., filiale du Groupe Livre Quebecor Media inc (Montréal, Quebec)

L’anxiété au quotidien, E. Albert, L Chneiweiss. Editions Odile Jacob, Octobre 1990

Le harcèlement moral, Marie-France Hirigoyen. La violence perverse au quotidien. Editions La Découverte et Syros, Paris, 1998

Le Nouveau Petit Robert, 1993, DICOROBERT Inc., Montréal, Canada. Publication de la présente édition du Nouveau Petit Robert (dans sa version originale « grand format ») : juin 1996.

Stress, comment l’apprivoiser, L. Coudron. Editions Belfond, 1992

  

Lic.phil. Sandra Gamboa Rivas, Psychologue spécialiste en psychothérapie FSP Psychothérapeute reconnue au niveau fédéral

Rue de Lausanne 91, 1700 Fribourg, Dörflistrasse 50, 8050 Zürich

+41 78 808 94 73 - www.psychotherapie-gamboarivas.ch 


[1] Cela peut varier en degré d’importance, et ce selon des critères personnels ou de contexte

[2] Il pourrait s’agir d’un trait personnel qu’il faudrait clarifier avec soi-même afin de pouvoir bien faire la part des choses.

[3] Dans tous les cas, « le sujet présente habituellement un abaissement de l’humeur, une diminution de l’intérêt et du plaisir, et une réduction de l’énergie, entraînant une augmentation de la fatigabilité et une diminution de l’activité » (CIM-10, WHO/Masson, 1994, pour la traduction française, 2000)

[4] Une personne sous emprise n’est pour ainsi dire plus elle-même. Elle finit par voir le monde et surtout par se voir elle-même à travers les yeux du prédateur qui la détient » (V. Le Goff-Cubilier, Comment survivre au mariage avec un pervers narcissique, les épouses du Roi-Soleil)

[5] Elle souligne encore que : «Pour la majorité d’entre nous, les manipulateurs sont les plus grands facteurs de stress relationnel ».
[6] « Debemos aprender a alejarnos de la gente que nos quiere manipular » 

[7] « Debemos aprender a distinguir qué nos hace bien y qué no, para poder elegir correctamente »